Le Grand Cormoran est un oiseau piscivore, par ailleurs remarquable pêcheur, présent dans notre département surtout en hiver depuis une quarantaine d’années et notamment au bord des cours d’eau et lacs où il aime faire sécher ses grandes ailes au soleil.
La population du Grand Cormoran était estimée à moins de 1000 individus à la fin des années 1970 en France. A l’époque il était décimé par les pêcheurs qui le détestaient. Il a fait partie des oiseaux protégés sur l’ensemble du territoire par la directive du Conseil de l’Union européenne du 12 avril 1979 concernant la conservation des oiseaux sauvages (remplacée depuis par la directive 2009/147/CE). De part cette protection, la population de l’espèce s’est très rapidement reconstituée, et en hivernage, il est apparu dans de nombreux départements, où il n’avait jamais été vu auparavant, semble-t-il. Parmi ces départements, l’Ariège, où un dortoir assez important s’est constitué dans les années 1990 au bord du lac de Montbel. Les Grands Cormorans n’ont jamais été très nombreux en Ariège, tout au plus quelques centaines d’individus, mais leur présence et leur capacité remarquable à attraper toutes sortes de poissons a engendré comme d’habitude un rejet total de la part des pêcheurs et des réflexions haineuses proches du délire. Malgré la protection de l’espèce, des autorisations de destruction de cet oiseau ont été très tôt prises par arrêté et dès 2001, il était autorisé de détruire 80 cormorans sur les piscicultures de Montbel et des Cabannes. En 2003, cette autorisation était élargie aux eaux libres, si bien qu’un arrêté ministériel prévoyait la destruction de 120 cormorans sur les eaux libres plus 80 sur les deux piscicultures précitées, soit 200 oiseaux à tuer chaque année, ce qui était considérable en réalité. De plus, au tout début des années 2000, de nombreux tirs ont été effectués sur les oiseaux du dortoir de Montbel, initiative de l’administration aussi stupide que contreproductive, puisque la population hivernante a rapidement éclatée pour se répartir en plus d’une dizaine de dortoirs dans tout le département, pour atteindre le nombre de 16 dortoirs au moins en 2021.
Le dernier arrêté ministériel trisannuel 2019-2022 prévoyait de tuer 265 grands cormorans par an (de la folie pure, un véritable massacre) soit 40 sur et autour des deux piscicultures et 225 en eaux libres (rivières et plans d’eau), alors que le comptage départemental de janvier 2019 recensait au total 246 oiseaux. Autrement dit, il était question de pouvoir détruire en 2019 plus de cormorans qu’il n’y en avait au total dans le département. Absurdité sans nom, volonté d’éradiquer à tout prix..
Heureusement, suite à plusieurs procédures judiciaires gagnées par la LPO, en septembre 2022, un nouvel arrêté ministériel triennal était pris et prévoyait uniquement la destruction de cormorans autour des piscicultures, soit pour l’Ariège, 30 au total chaque année pour les piscicultures de Montbel et les Cabannnes., arrêté confirmé par une décision en référé du Conseil d’Etat du 10 novembre 2022.
Mais lorsque l’affaire a été examinée sur le fond, le Conseil d’Etat a cette fois prononcé le 8 juillet 2024 l’annulation de l’arrêté ministériel, et ordonné l’édiction d’un arrêté modificatif comprenant des plafonds départementaux de destruction de grands cormorans en eaux libres pour la période 2022-2025. Tout en reconnaissant que le Grand cormoran n’était pas le facteur principal expliquant le mauvais état de conservation de certaines espèces de poisson, le Conseil d’Etat a considéré que la pression de prédation qu’il exerce apparaît susceptible, dans certains contextes particuliers, de contribuer à le dégrader davantage.
Donc, nous voilà repartis hélas, pour des arrêtés de destruction de cormorans sur les eaux libres en 2025, les plafonds départementaux seront fixés par arrêté préfectoral et ne pourront excéder 20 % de la population estimée dans le département lors du dernier recensement national..
En réalité, le Grand Cormoran a toute sa place en Ariège, d’autant qu’il y est présent en petit nombre et faire de cet oiseau le bouc-émissaire de la régression des poissons d’eau douce est un non-sens et permet d’éviter de remettre en question les causes principales: pollution et dégradation de la qualité des eaux, barrages et discontinuité écologique, prélèvements excessifs pour les conduites forcées d’hydroélectricité et pour l’irrigation, réchauffement climatique et sécheresses meurtrières. L’enjeu n’est pas de sauvegarder le loisir de quelques pêcheurs mais bien de préserver la biodiversité.
Bien évidemment, le Comité Ecologique Ariégeois se réserve le droit d’attaquer au Tribunal Administratif les futurs arrêtés préfectoraux concernant la destruction de ce bel oiseau sur les rivières et les plans d’eau de notre département. Ne perdons pas de vue que des méthodes d’effarouchement efficaces et non létales existent et devraient être privilégiées, à tout le moins autour des piscicultures de Montbel et les Cabannes.