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jeudi 4 juin 2020
Le castor donne de la pêche aux poissons
Le castor est considéré aujourd’hui comme une espèce « clé de voûte de la biodiversité ». On lui prête aussi la qualification « d’ingénieur des écosystèmes ».
Il partage avec l’homme la capacité de transformer à son avantage le milieu dans lequel il habite. À la différence de l’homme, son action favorise largement la bio-diversité des zones humides et des cours d’eau.
Le castor existe depuis 20 millions d’années déjà. Certains le traitent de fossile vivant. (Rybczynski 2007).
Pourtant c’est lui qui façonne et orchestre depuis tout ce temps les milieux humides pour le plus grand bien des espèces qui y vivent, les poissons et nous y compris .
Pendant ces millions d’années, il a transformé profondément son milieu en se servant de l’élément eau et en utilisant comme matière première le bois des arbres et en moindre mesure la terre et des pierres.
Les espèces qui cohabitent depuis si longtemps avec lui se sont adaptées et ont su profiter de son activité. Même les chasseurs-cueilleurs que nous étions autrefois semblent avoir largement profité des plans d’eau poissonneux, des oiseaux d’eau, du bois mort coupé par les castors et des prairies humides qui attiraient les grands herbivores comme les Élans. Peut-être même que les vastes zones de limons accumulés derrière les barrages et exondés après l’abandon ou la rupture des barrages ont permis les premiers débuts de l’agriculture. À l’époque lointaine quand est apparue l’agriculture en Mésopotamie (Syrie et Irak) le castor y était bien présent (G. Véron 1992). Aujourd’hui de nombreuses espèces dépendent directement de son activité (Lionel Lafontaine, 2005).
Nous les humains aimons et cherchons à conserver une certaine stabilité dans notre environnement.
Le castor lui amène de la dynamique, du mouvement dans et le long des cours d’eau. C’est la grande différence. Nous n’y sommes pas habitués et cela peut nous gêner.
De nombreuses espèces dépendent de cette dynamique et y sont habituées. Une trop grande stabilité favorise les espèces dominantes au détriment des espèces pionnières.
En modifiant sans arrêt son milieu par la construction, l’entretien et l’abandon de ses barrages, il permet une succession de milieux et d’espèces dans le temps et l’espace formant une vaste mosaïque naturelle et mouvante.
En consommant des espèces végétales dominantes comme les Iris jaunes, les nénuphars, les saules, peupliers etc. il réduit leur présence étouffante pour d’autres espèces.
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Ces végétaux ont une grande capacité d’enracinement et à former des rejets. Le moindre morceau « oublié » par le castor, emporté et redéposé par le courant, permet la diffusion rapide de ces plantes. Sans le faire express, le castor augmente ainsi ses ressources alimentaires.
Comme par exemple le trèfle d’eau (Menyanthes trifoliata), appelé aussi trèfle de castor, qui est consommé mais aussi largement diffusé par les castors.
Ces plantes forment aussi un entrelacs de tiges ou de racines immergées qui offrent de nombreux refuges et cachettes aux poissons.
Heureux comme un poisson dans un lac de castors.
De nombreux travaux scientifiques existent sur les conséquences de la présence des castors sur les cours d’eau en général et sur les populations de poissons en particulier. Beaucoup sont issus des milieux proches de la pêche, souvent inquiets de la présence des castors.
Les actions des castors comme les barrages et l’envasement des cours d’eau sont souvent très visibles. Elles donnent souvent lieu à des suppositions ou craintes qui peuvent sembler réelles en se focalisant sur un seul élément de l’action des castors.
Par contre ces actions ont presque toujours des effets complexes et très favorables, peu visibles et diffus dans l’espace et le temps. Très souvent ce ne sont que les travaux scientifiques répétés à divers endroits et accumulés dans le temps qui permettent de s’en rendre compte.
Tous ces travaux, presque sans exception, montrent quelques effets faiblement négatifs ou neutres qui sont presque toujours compensés par des effets positifs à très positifs pour les poissons.
Les barrages de castors : barrière ou pas ?
« Les barrages empêchent les poissons de circuler ! »
C’est probablement le principal reproche fait au castor par le monde de la pêche.
De très nombreux travaux scientifiques ont étudié cette question et ont démontré que cette crainte était injustifiée.
En Suède par exemple le saumon atlantique et la truite de mer sont effectivement un peu gênés à la montaison par les barrages. Un peu moins de reproducteurs parviennent sur les frayères. Mais paradoxalement il y a beaucoup plus de jeunes, plus gros et en meilleure condition lors de la dévalaison qui parviennent à la mer et qui proviennent des cours d’eau avec des barrages de castor. Les lacs et barrages des castors leur fournissent plus de cachettes contre les prédateurs, des milieux plus diversifiés , une nourriture plus abondante et des eaux en grande partie dépolluées.
Les barrages auraient aussi un effet de sélection en favorisant les individus les plus puissants et en meilleure condition par rapport aux autres.
Les truites se retrouvent bien plus nombreuses sur les cours d’eau où les castors sont présents. Elles arrivent à franchir la plupart des barrages en période de hautes eaux, soit en sautant, soit par les ruisseaux qui contournent les barrages. En Pologne des truites marquées avec des puces RFID ont démontré qu’elles se déplaçaient sans problème le long des cours d’eau occupés par des castors et leurs barrages. (Krzysztof Kukula, Aneta Bylak 2010). En Norvège, où les barrages ont tendance à être plus grands qu’en France, une étude européenne a démontré que les barrages ne posaient pas ou que de très faibles obstacles aux déplacements des truites et saumons équipés de puces RFID (étude EU-SALMONDAM).
D’autres espèces (anguilles, etc.) parviennent à se faufiler à travers les barrages en suivant les fuites toujours présentes. Le Chabot, pratiquement absent des lacs de barrages, se retrouve par contre plus nombreux en aval des barrages grâce à une nourriture très abondante, moins de matières en suspension et des eaux partiellement dépolluées par les barrages.
Les alevins et jeunes truites sont fortement favorisés par la nourriture plus abondante et les très nombreuses cachettes formées par les grandes quantités de bois mort présentes dans les lacs de barrage des castors.
Comme les barrages n’occupent pratiquement jamais toute la longueur des cours d’eau (30 à 50%), il reste toujours une proportion du linéaire où l’eau coule librement. En amont des barrages les espèces ont donc à leur disposition à la fois des eaux à faible courant ou stagnantes riches en nourriture et des eaux courantes.
La très grande variété d’habitats créés par les castors permet à un plus grand nombre d’espèces, poissons et autres, de cohabiter sur le même cours d’eau. En Lettonie des cours d’eau sans castor hébergeaient 9 espèces de poissons, alors que 15 espèces étaient présentes sur les cours d’eau avec castors. Une étude du régime alimentaire de la loutre montre que les poissons suivants, dont beaucoup sont présents dans l’ouest européen, sont associés à l’existence de retenues : ablette et able de Stymphale, anguille, brochet, carpe, chabot, chevesne, épinoches, gardon, goujon, loche d’étang, loche franche, lote de rivière et perche. Une grande diversité d’espèces de poissons exploite donc les habitats engendrés par l’activité des castors.(Paweù Janiszwski 2014).
Grâce aux barrages des castors, le brochet peut apparaître sur des cours d’eau d’où il était absent depuis longtemps.
L’impact des prédateurs, bien que plus nombreux, est réparti sur un bien plus grand nombre d’individus et d’espèces. Ces prédateurs, par facilité, élimineront d’abord les individus malades ou affaiblis et éviteront la contagion. La grande quantité de bois mort immergée dans les lacs de castors permet aux poissons de se cacher et d’échapper aux prédateurs. Sur des cours d’eau avec peu de cachettes et peu d’individus la pression de prédation est plus forte.
Contrairement aux barrages et seuils d’origine humaine, les barrages des castors ont une durée de vie limitée (5 à 15, rarement 20 à 25 ans) et ne sont que rarement étanches. Quand ils disparaissent par abandon, manque d’entretien ou endommagés par des crues, les échanges de populations sont facilités et rendent les problèmes de consanguinité quasi impossible.
En Amérique du Nord la destruction des barrages de castors afin de favoriser les population de salmonidés s’est pratiquement toujours soldée par une forte décroissance en espèces et individus. (au Colorado, Neff, 1957 ; au Michigan, Shetter and Whalls, 1955). Des barrages détruits naturellement ont été reconstruits manuellement par le département de la faune sauvage après la disparition de la possibilité de pratiquer une pêche « productive ».
Une meta-analyse de tous les articles publiés a été effectuée en Écosse par les service de la pêche (P. Collen & R.J. Gibson 2001) et traduite en Bretagne par Lionel Lafontaine.
Vers de vase ou Perles ? L’Envasement.
En plus scientifique : Chironomes ou Plécoptères ?
Là aussi nous trouvons l’effet ambivalent et paradoxal du castor.
Les perles effectivement disparaissent dans les lacs de barrages. Mais on les retrouve bien plus nombreuses juste en aval des barrages où l’eau est plus oxygénée et la nourriture plus abondante grâce à la grande quantité de bois mort apportée au cours d’eau par les castors.
Dans le lac lui-même les vers de vase (Chironomes) deviennent très nombreux et sont la base de l’alimentation pour un grand nombre d’espèces.
Les larves des nombreuses espèces d’insectes et amphibiens présentes grâce aux lacs de castors présentent une nourriture supplémentaire qui est quasi absente dans des cours d’eau sans castors.
D’un côté la rétention importante des matières en suspension (MES) en amont des barrages (jusqu’à 70 % par barrage) peut colmater des frayères existantes dans l’étendue des lacs de barrages. Mais les frayères en aval seront d’autant mieux protégées des MES et donc bien plus propices à la reproduction. Les alevins issus des frayères en amont des lacs de barrages peuvent trouver dans le lac juste en aval de nombreuses cachettes, une température un peu plus élevée qui favorise leur croissance associée à une nourriture plus abondante. En cas de sécheresse et de débit très réduit les lacs de barrages constituent souvent les seuls refuges pour les poissons.
Ces MES contiennent souvent beaucoup de matière organique. Leur décomposition peut appauvrir la teneur en oxygène dissout dans l’eau. Mais sur de petits cours d’eau lents les cascades dévalant les barrages et les remous formés à leur pied contribuent efficacement à la ré-oxygénation.
Les MES et surtout la portion organique retiennent à leur surface (adsorbent) jusqu’à 9O % des pesticides et intrants agricoles et domestiques présents dans les ruissellements issus des surfaces agricoles ou dans les effluents des stations d’épuration. L’intense activité microbienne dans les MES sédimentées sous forme de limons et vase permet une forte dégradation de ces substances néfastes pour les poissons et la vie des cours d’eau. (voir l’article « Réduire votre facture d’eau : un allié insoupçonné : LE CASTOR » spip.php ?article391 )
Les lacs de barrage de castors sont capables d’augmenter l’auto-épuration des petits cours d’eau qui sont pollués par des stations d’épuration, élevages intensifs de bovins et autres effluents agricoles. (Balodis, 1994) Le taux d’auto-épuration était 10 fois plus important par longueur de ruisseau avec des barrages de castors comparé à des ruisseaux sans castor.
Grâce à cette intense activité microbienne dans les sédiments des lacs de castors et à l’apport de bois mort, l’acidité de l’eau entrante est réduite (A. Puttock 2017). Cet effet est surtout marqué dans les zones forestières, plus encore dans des zones à plantations de résineux .
Cette acidité est la cause de la libération de ions aluminium, toxiques pour les poissons, les truites notamment, et les autres organismes aquatiques.
Ni chaud, ni froid !
Les castors qui s’installent sur un cours d’eau commencent souvent par couper des buissons et des arbres poussant sur les berges. Sur ces zones inondées par des barrages les racines des arbres non-adaptés finissent par dépérir, les arbres meurent et finissent par tomber.
Le soleil envahit toute la zone et l’eau se réchauffe. C’est logique.
Les espèces de poissons sensibles aux températures élevées devraient disparaître. Faux.
Elles deviennent même plus nombreuses.
Longtemps les températures n’étaient mesurées que ponctuellement et uniquement en surface. Des techniques plus récentes utilisant un grand nombre de capteurs à divers endroits et à diverses profondeurs sur de longues durées ont permis de démontrer la présence de zones persistantes d’eau plus froide dans les lacs de barrages. Dans un lac de barrage de castors des différences de température de 10,5°C en fonction des diverses zones du lac ont été mesurées (Milada Majerova 2019). Il a aussi été démontré que les barrages et leurs lacs diminuaient fortement les variations journalières des températures de l’eau, évitant ainsi des pics de chaleur néfastes même si les moyennes de température étaient un peu plus élevées dans les barrages (+0 à 2°C).
Ces variations journalières sont souvent plus fortes et plus fréquentes dans des cours d’eau à écoulement libre à faible débit, surtout en période d’étiage en été et automne.
Les barrages, en élevant le niveau de l’eau, rechargent en période de hautes eaux les nappes alluviales. Cette eau est stockée dans les zones humides comme les marais (500 à 1000 l par m2 - source : Agence de l’Eau Adour Garonne). Celle-ci est restituée aux cours d’eau en période d’étiage estival.
Comme cette eau provient du sous-sol, elle ne subit pas l’ensoleillement et garde sa fraîcheur. Là où elle rejoint les cours d’eau elle est à l’origine de zones plus fraîches, par exemple dans les parties les plus profondes du lac de barrage où les poissons peuvent se réfugier en périodes de fortes chaleurs. Cet effet de refroidissement, bénéfique pour les poissons, peut aussi se faire sentir sur les cours d’eau en aval des barrages.
En Bavière un lac de 7 hectares formé par un barrage de castor a considérablement fait remonter le niveau de la nappe alluviale en aval sur 30 hectares. Après la destruction accidentelle de ce barrage, le niveau de la nappe a mis 13 mois pour retrouver son niveau d’origine (V. Zahner).
En Pologne les 2000 ha de zones humides créés par les castors en un an (Czech 2003) ont potentiellement retenu un volume d’eau de 10 à 20 millions de mètres cube en comptant 500 à 1000l/m2 d’eau stockée (source Agence de l’Eau). Ce volume accumulé gratuitement en 3 à 6 années correspond au volume stocké par le lac de Montbel.
Dans certaines situations d’étiage sévère les cours d’eau peuvent devenir des pièges mortels pour les truites et autres poissons. Dans les lacs de barrages de castors ceux-ci peuvent trouver des refuges temporaires (Duncan, 1984 ; Kemp et al. 2012).
Par contre l’échauffement de certaines zones peu profondes le long des berges des lacs permet une plus grande production de nourriture et une croissance plus rapide des jeunes poissons.
Dans un cours d’eau à écoulement libre, l’eau est constamment mélangée par le courant. Les zones de températures diversifiées y sont beaucoup plus rares que dans les lacs de castors où des zones à températures diverses existent, avec une variabilité journalière plus faible.
Castors, Crues et poissons.
Des fortes crues peuvent emporter tout ou une grande partie des alevins et larves d’amphibiens au loin, comme cela est arrivé en 2013 sur la Neste, Adour et Gave. Dans certains secteurs les populations ont été divisées par 2 ou 3 (FDP65-2014). Certes le repeuplement peut se faire à partir de petits cours d’eau moins touchés mais cela prend du temps.
En Allemagne, dans l’Eiffel, des études avant et après une très forte crue sur deux cours d’eau voisins, l’un avec des castors, l’autre sans, ont démontré que les barrages permettaient, en réduisant la vitesse d’écoulement de l’eau, aux alevins et larves d’amphibiens de se réfugier dans les lacs de barrage. Même la population d’alevins et de larves d’amphibiens d’un lac de barrage qui fut rompu par la crue, s’est retrouvée en grande partie dans le prochain lac de barrage juste en aval (L. Dalbeck).
Pêcheurs et castors : où est le problème ?
Dans certains endroits en France des pêcheurs ont détruit par ignorance et en croyant bien faire des barrages de castors. Ils ont eu des problèmes sérieux avec l’ONCFS, par exemple sur le Grand Buëch dans l’Aspremont (Le Dauphiné Libéré). Le castor et ses barrages, huttes et terriers sont protégés par la loi.
C’est quand même dommage de se fatiguer pour rien, de s’attirer de sérieux ennuis et en plus de perdre des richesses de poissons, simplement par manque d’une information correcte !
Le fait que les castors « jardinent » les berges des cours d’eau en maintenant une végétation éclaircie et plus arbustive semble favoriser l’accès des pêcheurs à l’eau. Le seul reproche rapporté (par des Autrichiens) dans un questionnaire envoyé par des Anglais aux sociétés de pêche dans toute l’Europe était que parfois les hameçons se prenaient dans les branchages laissées dans l’eau par les castors. Comme les lacs de castor sont généralement peu profonds (70 à 100cm) il semble qu’équipé de « Waders » il ne doit pas être si difficile d’aller récupérer l’hameçon.
En contre-partie les castors apporteront plus de poissons plus gros et des paysages bien plus variés le long des cours d’eau.
Notre rubrique CASTOR comporte 4 autres articles sur cet animal disparu d’Ariège. Si vous vous intéressez à cette réintroduction possible, nous vous convions à les lire :
Un grand absent en Ariège : le Castor ! Le CEA et le Chabot proposent sa réintroduction...
Réduire votre facture d’eau : un allié insoupçonné : Le Castor
Le Castor, un Bandit honnête ?
Un magicien d’eau : le Castor !
L’article de la Gazette Ariègeoise sur l’introduction du castor en Ariège : ICI
Celui de La Dépêche : https://www.ladepeche.fr/2021/10/02/vers-la-reintroduction-du-castor-cet-ami-disparu-de-nos-rivieres-9826323.php