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dimanche 21 janvier 2024

Le "cher" monde de la chasse décortiqué par la cellule d’investigation de Radio France

Enquête de Radio-France, relayée par Capital sur le monde de la chasse :

La Cellule investigation de Radio France dresse un tableau exhaustif et sans faux semblants de ce que la chasse est devenue en France depuis 2019, avec l’active responsabilité d’E. Macron : "Chasseurs : comment ils ont mis la main sur des millions de subventions dédiés à la biodiversité"

Chaque année, les chasseurs bénéficient de 10 millions d’euros d’argent public. Capital a enquêté sur ce pactole officiellement dédié à la reconquête de la biodiversité. Mais trop souvent détourné de son objectif premier.

La lune de miel entre Emmanuel Macron et Willy Schraen, l’influent président des 960 000 chasseurs français, dure depuis six ans, et toujours pas l’ombre d’un nuage à l’horizon. « Macron a fait plus pour la chasse qu’aucun autre président », lâchait le patron des chasseurs à la veille de la présidentielle de 2022, clamant fièrement son vote pour le champion de la « start-up nation ». Un prêté pour un rendu : au cours des cinq années du premier mandat d’Emmanuel Macron, le montant des subventions accordées aux chasseurs par l’Etat a bondi de… 42 000%. Un petit miracle rendu possible grâce à une cascade de cadeaux… Oubliés, les 27 000 euros de subventions publiques grappillés jusqu’ici. En 2019, Emmanuel Macron accorde une baisse historique du prix du permis national de chasse, qui passe de 400 à 200 euros.

Des chasseurs devenus gardiens de la biodiversité... vraiment ?

Le président crée dans le même temps l’écocontribution, destinée à financer un fonds pour la reconquête de la biodiversité, doté de 15 millions d’euros par an et dédié uniquement aux chasseurs. L’Etat le subventionne à hauteur de 10 euros par chasseur et la Fédération nationale des chasseurs (FNC) ajoute 5 euros par membre. Un joli coup double : cette manne financière inédite permet au passage de verdir l’image des chasseurs, désormais gardiens de la biodiversité. « Les associations écologistes (…) nous soupçonnent de vouloir manger la laine sur leur dos ! (…) Elles ont raison d’avoir peur, parce que c’est ce que nous allons faire demain », assumait d’ailleurs Willy Schraen dans son livre « Un chasseur en campagne » (Ed. du Gerfaut)

Officiellement, l’écocontribution est gérée par l’Office français de la biodiversité (OFB). Dans les faits, l’instance instruit les dossiers à la va-vite puis accorde la manne. « Classiquement, lors des appels à projets de l’OFB, 50 à 70% des candidats sont écartés. Dans les cas de l’écocontribution, il n’y a aucune mise en concurrence. Résultat, malgré l’inconsistance d’un certain nombre d’argumentaires, on est seulement sur 5 à 7% de dossiers repoussés après instruction », notent les représentants du Syndicat national de l’environnement (SNE-FSU) de l’OFB. Il faut dire que les membres de la commission d’intervention de l’OFB, qui se réunissent quatre fois dans l’année, se prononcent par vague de 30 à 50 projets et non pour chaque dossier individuellement. « J’ai régulièrement exprimé des doutes sur des projets et même voté contre l’ensemble d’une vague, mais elle passe quand même », rapporte Jean-David Abel, pilote du réseau biodiversité au sein de France Nature Environnement (FNE) et membre de la commission des interventions de l’OFB.

Pourtant, sur les 615 projets auxquels Capital et la Cellule investigation de Radio France ont eu accès, un nombre important ne répondent clairement pas à l’esprit de l’écocontribution, soit « conduire des actions concourant directement à la protection de la biodiversité ». Et se contentent d’une présentation elliptique : pas de date d’échéance, peu d’indicateurs sur les résultats attendus. Les montants demandés interrogent aussi : de rares dossiers sont estimés à moins de 10 000 euros tandis que d’autres dépassent les 400 000 euros, sans justification apparente. Tous ont pourtant été validés et payés.

Les projets de protection de la nature des chasseurs

Petit inventaire à la Prévert de ces projets censés protéger la nature :

  • une appli mobile à 224 672 euros pour permettre aux chasseurs d’enregistrer les animaux tués en temps réel,
  • une autre à 12 352 euros pour informer les randonneurs et les vététistes intrépides des battues en cours en Isère,
  • des atlas d’espèces chassables en pagaille à plus de 70 000 euros par fédération…
  • Un escape game à Plérin (22), financé 140 000 euros, pour découvrir comment récupérer les restes de son vaisseau spatial en forêt costarmoricaine,
  • 20 133 euros pour réhabiliter la collection d’animaux empaillés de la fédération du Bas-Rhin, visible « 6 à 12 journées par an ».
  • A Kolbsheim (67), le camp Davy Crockett a été subventionné 69 645 euros par l’OFB. Outre une garenne sauvage, des empreintes d’animaux ou une ruche pédagogique, « l’espace comporte également un labo de cuisine, appelé "De la forêt aux saucissons", pour apprendre à préparer… le gibier de nos amis chasseurs », indique Philippe Krauth, le directeur du camp. Contre monnaie sonnante et trébuchante, le site met aussi à disposition la location des lieux et un service traiteur avec… broches à sanglier.
  • 900 000 euros versés pour des collectes de déchets assurées par des bénévoles
  • 58 669 euros pour acheter des nichoirs en plastique inadaptés aux oiseaux

Même dans les rangs très soudés des chasseurs, ces programmes finissent par agacer. « Chez nous, un projet d’écocontribution a permis le suivi annuel de cerfs et de biches pour justifier de leur traque. Or, dans le département, les populations de cervidés déclinent. A ce rythme, dans dix ans, nous n’aurons plus de cerfs dans nos forêts », explique un chasseur du Cantal.

En 2021, les membres du conseil scientifique de l’OFB ont fini par sortir de leur réserve. Dans une note cinglante, rendue publique, ils tancent le « manque d’information dans les dossiers rendant toute évaluation très difficile », « un risque relatif à la réputation de l’OFB, associé à des projets de qualité très faible, voire mauvaise », et « l’impossibilité (…) de refuser des dossiers ». Las, deux ans après ce rappel à l’ordre, peu apprécié de leur direction, rien ne semble avoir réellement bougé.

L’Office continue de financer des projets dont les montants semblent décorrélés des réalités financières. A titre d’exemple, à travers l’opération « J’aime la nature propre », organisée dans 41 départements, les fédérations de chasse sollicitent des bénévoles pour les aider dans la collecte de déchets. Des actions gratuites, donc, pour lesquelles les fédérations ont perçu… 900 000 euros depuis 2020. « Ça commence à faire cher l’achat de gants, de sacs plastique et éventuellement la location d’un semi-remorque.
La plupart des associations environnementales organisent des ramassages de déchets simplement en envoyant un mail à leurs membres ou en les prévenant via la page Facebook, et ce sans aucun argent public », s’agace Yves Vérilhac, ex-directeur de la Ligue de protection des oiseaux (LPO), dont le référé pour interdire l’écocontribution a échoué.

« Grâce à la manne de l’écocontribution dont la Fédération nationale des chasseurs dispose depuis 2019, son président Willy Schraen chasse désormais sur les terres des écologistes. ©STEPHANE DE SAKUTIN/POOL/AFP »

Quelques mois plus tard, toujours en 2021, nouveau coup de semonce. Cette fois-ci, c’est le conseil d’administration de l’OFB qui se dispute sur l’intérêt de ces grands nettoyages dont certains, par exemple, sont réalisés à proximité de stades de foot, et qui relèveraient donc des communes. Des membres dénoncent aussi le manque d’information sur le devenir des déchets. Une affaire qui a fini par prendre la tournure d’un casus belli et serait remontée auprès de Bérangère Abba, la secrétaire d’Etat chargée de la biodiversité. Au ministère de la Transition écologique, on assure ne pas se souvenir de cet épisode… mais depuis, les actions se limitent aux « sites naturels pour lesquels les déchets, notamment plastiques, représentent une atteinte très importante à l’environnement », indique l’OFB, tenant à répondre aux questions de Capital uniquement par écrit. Fermez le ban. Sollicitée à plusieurs reprises, la FNC n’a de son côté pas souhaité donner suite à nos demandes d’entretien.

Sujet chatouilleux du moment : les chemins ruraux. Eux aussi sont du ressort des collectivités locales. Mais là encore, des fédérations de chasseurs se substituent à elles. « Chaque année, ces dossiers sont financés contre plusieurs centaines de milliers d’euros (1,3 million d’euros depuis 2020, NDLR). Les chasseurs revendiquent analyser les lieux où ils seraient en péril. Mais même en friche, un sentier communal ne nuit pas à la nature. L’écocontribution n’est pas là pour permettre aux chasseurs de faire ami-ami avec les collectivités », dénonce Jean-David Abel (FNE).

« L’écocontribution a été pensée comme un outil politique à double détente : elle devait aider les chasseurs à redorer leur image et permettre au président de trouver un ancrage dans la ruralité, un électorat dont il cherche ouvertement à s’attirer les faveurs », explique Aurélien Besnard, directeur d’études à l’Ecole pratique des hautes études et chercheur au Centre d’écologie fonctionnelle et évolutive. Quatre ans après les premiers financements, la flèche a manqué sa cible : entre 2019 et 2023, les fédérations ont perdu plus de 40 000 adhérents.

Dans l’opinion publique, la rupture est consommée. Selon un sondage Ipsos pour One Voice, publié en octobre 2023, 53% des Français – urbains comme ruraux – se déclarent hostiles à la chasse, soit 5% de plus en un an. Depuis des années, Willy Schraen a placé les chasseurs dans une forteresse assiégée, « nous contre le reste du monde. Cette posture a cristallisé les clivages », poursuit Aurélien Besnard. Difficile dans ces conditions de s’ériger en gardien de la biodiversité auprès du plus grand nombre.

D’autant que les chasseurs initient même des projets allant à l’encontre de la protection de la nature. « Ils n’étaient pas préparés à de telles missions ni à recevoir autant d’argent, et commettent de grossières erreurs pourtant parfaitement évitables », indique Yves Vérilhac. En septembre 2023, dans les Hauts-de-France, 20 000 nichoirs… en plastique « ont été installés sur les secteurs envahis par les chenilles processionnaires du chêne », note Stéphane Legros, président de la fédération de chasse des Hauts-de-France.
Le but était pourtant louable : favoriser l’implantation de mésanges, leurs principaux prédateurs. Coût de la bourde polluante pour l’OFB ? 58 669 euros. Ces abris seraient d’ailleurs de peu d’intérêt pour les oiseaux : « Le plastique n’est pas un bon isolant. En été, les températures risquent de vite grimper et les œufs pourraient en pâtir », souligne Joël White, maître de conférences en écologie à l’Ecole nationale supérieure de formation de l’enseignement agricole. Renseignement pris : le dirigeant de la société ArdennPac, fournisseuse de ces nichoirs, est membre de la fédération de chasse des Hauts-de-France…

Pratiques très limites et cafouillages en série

Ça cafouille… Pour calmer le jeu, en off, l’OFB parle d’une « lente montée en compétence… ». En attendant, des projets valorisant le patrimoine des chasseurs passent toujours sous les radars. Habile, le descriptif de certains dossiers présente des aménagements de mares, de bocages, de forêts, ou encore des inventaires écologiques en s’abstenant de préciser que le lieu choisi appartient ou est géré par une fédération.

En Moselle, un projet autour d’étangs « pour améliorer la reproduction de l’avifaune aquatique » a ainsi été financé 89 034 euros. En Occitanie, 191 115,27 euros ont été nécessaires pour « coordonner le développement du réseau d’espaces protégés en faveur du patrimoine naturel, acquis et gérés par le monde cynégétique (qui se rapporte à la chasse) ». La fédération de l’Allier, elle, a encaissé plus de 200 000 euros pour développer le Domaine des Sallards, envisagé comme la future vitrine des chasseurs.
Au total, selon nos décomptes, entre 2019 et 2022, 150 financements, soit au bas mot 22% des dossiers, ont bénéficié directement aux chasseurs. « Ces travaux servent sans doute la biodiversité, mais les fédérations y trouvent aussi un intérêt cynégétique évident car ces aménagements accroissent la présence de gibier et d’oiseaux sur leurs propres terres ! », poursuit Yves Vérilhac. En 2020, 102 906 euros d’écocontribution ont même permis l’acquisition d’un nouveau terrain. Dont acte : depuis cet achat, une nouvelle convention, signée entre l’OFB et les chasseurs, empêche le financement de biens fonciers ou immobiliers.
Des cafouillages en série et des pratiques très limites qui ont fini ces derniers mois par placer l’OFB sur le banc des accusés. Parmi les critiques émises par les acteurs de la biodiversité : un manque de rigueur dans l’instruction des projets et des contrôles insuffisants postréalisation. En juillet dernier, la Cour des comptes, dans son rapport intitulé « Les soutiens publics aux fédérations de chasseurs », épinglait d’ailleurs l’institution : « Il paraît nécessaire que, trois ans après le démarrage du fonds biodiversité, ce type de vérifications sur place soit mis en place rapidement. » « Jusqu’ici, l’Office a été insuffisamment doté pour dépêcher des agents sur le terrain. Il a fallu, en partie, compter sur la bonne foi des acteurs… », confirme le SNE-FSU de l’OFB. Dommage… Dans certains cas, pourtant, un simple coup de fil aurait suffi à donner l’alerte.

Le programme Stoc et ses chasseurs-contributeurs fantômes

L’histoire rapportée par Benoît Fontaine, qui pilote le programme Stoc (suivi temporel des oiseaux communs) au Muséum national d’histoire naturelle, est en cela édifiante. Ce protocole consiste à dénombrer les oiseaux pendant cinq minutes, deux fois dans l’année, sur 10 points et dans une maille de 4 kilomètres carrés. Chaque participant reverse ensuite ces décomptes sur une plateforme dédiée. Nous avons informé le responsable du Stoc que des fédérations de chasse prétendaient collaborer à cette collecte. Surprise : « J’ai épluché la base de données, qui contient près de 2 500 contributeurs. Parmi ceux-ci, un seul a une adresse mail "@fdc", et il a contribué une seule année, en 2006… Si les chasseurs bénéficient de subventions publiques pour participer au Stoc, il serait normal qu’ils saisissent les données collectées avec une adresse professionnelle, donc en "@fdc". Je n’ai aucune trace de leur éventuelle contribution », note l’ingénieur au Centre d’écologie et des sciences de la conservation au Muséum et à l’OFB. Ce dernier, pourtant partenaire de ce programme et employeur direct de Benoît Fontaine, n’a jamais vérifié auprès de lui si les chasseurs avaient bien coopéré à ces suivis et transmis leurs relevés.

Côté comptabilité, même tâtonnement. Nous nous sommes procuré des justificatifs de salariés de la fédération d’Ile-de-France transmis à l’OFB pour la période 2020. Ceux de deux chargés de mission ont attiré notre attention : entre le 1er avril 2020 et le 11 mai 2020, ils ont effectué 54 déplacements pour « préparer un support pédagogique, de prospection et présentation de projets ». Or, en plein confinement, l’ensemble des établissements scolaires étaient fermés. Difficile, donc, de « prospecter ou de présenter les projets » alors que les déplacements sont limités à des « raisons de première nécessité ». « Des déplacements ont pu être nécessaires afin de réaliser les supports pédagogiques et de préparer les animations (...), mais ils ne représentent finalement qu’une part limitée des justificatifs présentés », se défend l’OFB. « L’Office ne joue pas la transparence. Depuis 2022, nous lui avons demandé les factures attenantes aux dossiers réalisés, les comptes-rendus d’utilisation des fonds et l’évaluation des projets finalisés afin de mesurer l’impact réel des actions des chasseurs sur la biodiversité. En vain », souligne Alexandre Renahy, à la tête du site Lanceur d’alerte, un média d’investigation indépendant. Ce dernier a même saisi la Commission d’accès aux documents administratifs (Cada). Celle-ci a estimé sa demande valide depuis le 3 mai 2023. « L’OFB entretient une chape de plomb autour des financements de l’écocontribution, que je n’ai jamais vue sur d’autres dossiers impliquant des fonds publics », poursuit Alexandre Renahy.

L’Office est entre le marteau et l’enclume : tiraillé par les associations qui exigent des comptes et sous pression des fédérations de chasse considérant l’écocontribution comme un dû. Récemment, la FNC a même réclamé les 1,65 million d’euros qui n’avaient pas été utilisés « sur les trois premières vagues ». La Cour des comptes l’a renvoyée dans les cordes, se pliant à l’avis de l’OFB : « L’OFB a précisé son analyse, fondée sur les principes de l’annualité budgétaire et de l’interdiction de report des autorisations d’engagement non affectée. La Cour partage cette analyse (…). »

Des financements de l’écocontribution concernent le suivi d’espèces chassables

Si les relations se tendent entre les chasseurs et l’OFB, elles se sont aussi crispées avec une partie de la communauté scientifique. Depuis 2019, les financements de l’écocontribution parmi les plus importants concernent le suivi d’espèces… chassables. A titre d’exemple, en Nouvelle-Aquitaine, la fédération a obtenu sur trois ans 487 861 euros pour assurer le suivi des grands ongulés ; 813 850 euros ont été perçus par la fédération régionale d’Occitanie pour « le suivi de connaissance et de valorisation de données sur la faune sauvage chassable ». « Ce type de projets devrait être systématiquement accompagné par des scientifiques indépendants pour prétendre à une légitimité, surtout au vu des montants dépensés. Par ailleurs, la biodiversité ne se réduit pas à la faune chassable », souligne Aurélien Besnard. Etonnamment, sur les 615 projets que nous avons examinés, moins de 10 portent directement sur les insectes, les batraciens ou les reptiles… Et encore, dans le lot, certains cultivent l’ambiguïté. En 2021, les chasseurs de Corrèze ont obtenu 14 029 euros pour « améliorer la disponibilité en gîtes du lézard ocellé » en… renforçant la population des lapins de garenne.

En guise de caution scientifique, des programmes « d’inventaires ou de suivis d’espèces » sont conduits par l’Isnea, l’Institut scientifique Nord-Est Atlantique. Las, cet organisme a été créé en 2012 par Willy Schraen, le patron de la FNC, en personne. Il continue d’être soutenu financièrement par les chasseurs. « Cette structure n’a aucune crédibilité scientifique. En la sollicitant, les fédérations se placent de facto en conflit d’intérêts. Son indépendance et la rigueur de ses méthodes sont très souvent remises en cause », poursuit Aurélien Besnard. Il y a deux ans, un article de Mathieu Boos, responsable du programme scientifique de l’Isnea, sur le dérangement des aires de reproduction des gypaètes barbus – l’une des quatre espèces de vautours en France – avait fait scandale. Publié dans une revue scientifique, il a dû être rétracté fissa : des scientifiques avaient apporté la preuve de manipulations de données par l’auteur et ses confrères.

Depuis ses débuts, l’écocontribution a aussi permis de financer pléthore de projets en rapport avec les scolaires : une option bac « faune sauvage et gestion cynégétique » dans l’Aude, un partenariat avec un lycée agricole, des animations dans les écoles… Montant estimé de l’enveloppe « éducation à la nature » : plus de 1,5 million d’euros. « L’OFB a beau proscrire toute forme de prosélytisme, le risque demeure. Il est constitutif à cette pratique », note Richard Holding, du service communication de l’Association pour la protection des animaux sauvages (Aspas).

Dans le Tarn, l’académie fait de la résistance. Malgré des demandes réitérées de la fédération de chasseurs pour intervenir dans les établissements du département, l’inspection académique a maintenu porte close. Nous avons découvert lors de notre enquête qu’ils étaient entrés par la fenêtre en scellant un partenariat avec le Centre permanent d’initiatives pour l’environnement (CPIE). Résultat ? A la mi-octobre 2023, des chargés de mission de la fédération initiaient des élèves à la fabrique… d’un arc. Prochaine réjouissance pédagogique prévue ? Le permis couteau ! Il s’agit « d’apprendre la manipulation de cet outil en toute sécurité », explique benoîtement l’animateur en charge de l’atelier dans un post LinkedIn au lendemain de son intervention. Informée par nos soins, l’inspection académique ne décolère pas et rappelle son refus de délivrer l’agrément. « L’agrément de l’éducation nationale n’est pas obligatoire pour des interventions ponctuelles », tient à préciser l’OFB.

450 000 euros pour organiser des ateliers en milieu scolaire… payants

A l’inverse, il est parfois compliqué pour les enseignants d’accéder aux animations. En 2020, Sébastien, professeur de SVT en Ile-de-France, avait reçu des chasseurs pour évoquer la biodiversité avec des élèves de troisième. Ils étaient venus avec des animaux naturalisés. Ces derniers avaient été exposés au CDI. « En parallèle de cette exposition, il y a eu des ateliers. Après ces interventions, nous avons fait un petit débat sur les "pour" et les "contre" autour de la chasse. Certains qui pouvaient avoir des avis tranchés se sont questionnés et se sont rendu compte que tout n’était pas blanc ou noir. » Plus tard, Sébastien a cherché à contacter la fédération d’Ile-de-France pour réitérer l’expérience, mais on l’a informé du caractère désormais payant de l’intervention… Entre 2020 et 2022, elle a pourtant bénéficié de 450 000 euros pour développer un projet « d’éducation à la nature et au développement durable dans les écoles du département ». Contactée par mail et par téléphone, la fédération d’Ile-de-France s’est abstenue de répondre à nos questions sur les coûts éventuels de ces formations.

Mauvais signal, la dernière vague de projets adoubés par l’OFB, le 13 octobre dernier, comporte encore un projet mené avec l’Isnea, et un autre crispe déjà la communauté enseignante. La fédération de chasse de l’Aveyron notifie, en effet, organiser « désormais à la demande du conseiller pédagogique de circonscription un cursus obligatoire de formation sur la biodiversité auprès de tous les enseignants du premier degré du département ». « Nous ne sommes pas au courant de cette mesure. En septembre dernier, il nous a été remis le "volet départemental de formation pour l’année scolaire 2023-2024". Aucune action opérée par la fédération de chasse n’y figure. Par ailleurs, le conseiller pédagogique n’a pas pouvoir pour décider de ces actions », déclare le Syndicat national unitaire des instituteurs, professeurs des écoles et PEGC (FSU-SNUipp), à deux doigts de tomber de sa chaise. Une gabegie d’argent public qui n’est pas près de se tarir : grâce à une nouvelle convention signée en 2021, l’écocontribution est en effet amenée à rester entre les mains des chasseurs… jusqu’en 2026.

Economie réalisable : 10 millions d’euros par an en supprimant l’écocontribution allouée aux fédérations de chasse

Accidents de chasse : la responsabilité de l’Etat dans le viseur

« Le risque zéro n’existe pas », rappelait Willy Schraen, l’actuel président des 960 000 chasseurs français… En 2023, la chasse a causé 78 accidents dont 6 mortels, contre 113 pour 1,1 million de chasseurs en 2017. Si les accidents baissent de manière globale ces dernières années, les victimes non-chasseurs sont proportionnellement plus nombreuses. Elles ont augmenté de 26% l’an dernier. « Avec la multiplication des activités en plein air, le partage des espaces naturels est en tension. Dire que la "nature n’est pas à tout le monde", comme le justifie Willy Schraen, ne tient pas. Si l’on doit opposer les deux libertés fondamentales que sont le droit à la vie et le droit à la propriété, le droit à la vie prime, faut-il le rappeler ? », note Julien Roelens, avocat du collectif Un jour un chasseur et de l’association Aspas, qui ont interpellé l’Etat pour carences fautives en matière de protection de la population contre les accidents et les nuisances liées à la chasse, avant une possible assignation sous deux mois au tribunal administratif.

Le 30 septembre 2022, un rapport du Sénat intitulé « La sécurité : un devoir pour les chasseurs, une attente de la société » préconisait une série de 30 mesures pour sécuriser la pratique. Parmi elles :

  • obliger à un examen médical notamment à cause de la population vieillissante des chasseurs,
  • interdire les tirs de carabines en direction des maisons et des routes,
  • et permettre aux préfets de limiter les jours et les horaires de chasse pour assurer la sécurité des personnes. « Il est urgent d’agir sur le temps et l’espace.

Nous avons épluché des centaines de dossiers sur les circonstances des accidents mortels : en quinze ans, 40% des personnes tuées l’ont été dans leur propre jardin ou sur une route goudronnée, 70% des personnes décédées sont mortes un week-end à cause d’un tir mortel », poursuit Julien Roelens.

Depuis septembre 2023, la consommation d’alcool lors de la chasse est limitée à 0,5 gramme et le dépassement passible d’une amende de 1 500 euros. Toutefois, cette infraction n’est sanctionnée ni par le retrait du permis de chasse, ni par la limitation du port d’armes. La mesure avait néanmoins suscité l’agacement de Willy Schraen : « De quel droit réserver ça aux chasseurs, un mec bourré sur un vélo, c’est dangereux aussi ! »

Comment les balles polluent la nature

Selon un rapport de l’Inserm (Institut national de la santé), 8 000 tonnes de plomb sont déversées dans la nature chaque année. Elles proviennent des 250 millions de cartouches tirées, dont les trois quarts par les chasseurs et un quart par les amateurs de tirs sportifs. La toxicité de ce métal sur l’environnement et notamment sur la faune a été documentée. Ingéré par les animaux, il peut perturber leur comportement, voire les faire mourir.

En 2020, les chasseurs ont réussi à faire financer un projet d’écocontribution intitulé « transition vers une chasse durable sans plomb » à hauteur de 106 808,33 euros. « L’argent du contribuable doit-il financer le loisir des chasseurs ? Un amateur de tennis ne demande pas à l’Etat de lui payer une nouvelle raquette », interroge Yves Vérilhac, ancien directeur de la Ligue de protection des oiseaux.

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